mardi 28 juin 2016

Théâtre- Rhinocéros



Théâtre - Rhinocéros
Rhinocéros
Eugène Ionesco
Folio, N° 816
Quatrième de couverture: 
"Ce sont eux qui sont beaux. J'ai eu tort ! Oh ! Comme je voudrais être comme eux. Je n'ai pas de corne, hélas ! Que c'est laid, un front plat. Il m'en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ca viendra peut-être, et je n'aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de ses mains.) Mes mains sont moites. Deviendront-elles rugueuses ? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace.) J'ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur d'un vert sombre, une nudité décente, sans poils, comme la leur ! "
Première remarque qui m'est venu à l'esprit en comprenant ce qu'il se passait: "Mais depuis quand les rhinocéros sont verts ?? "
A- L'histoire
Nous sommes dans un petit village de province, un dimanche matin, sur la place. Les commerces, déserts, attendent désespérément quelques clients qui sortiraient le bout de leur nez, en plus de la messe.
Deux hommes s'attablent à la terrasse d'un petit café ne payant pas de mine. L'un est propre, soigneux, un poil nerveux, et l'autre est mal rasé, avachi, absent. Ce sont Jean et Bérenger, et tout les différencie.
Et alors là, paf ! un rhinocéros passe, à toute allure, sous le regard hébété des -maigres- badauds. Pff ! Billevesées, me répondrez-vous ! Que viendrait faire un rhinocéros en pleine campagne, un dimanche matin, sur la place du village ?
Les ragots et commères vont bon train ! C'est alors que le rhinocéros repasse, et écrase (malgré-lui ou non, on ne le saura jamais !) le petit chat d'une villageoise ... Toute l'attention est portée sur ce rhinocéros, pour une fois que la routine quotidienne est un peu tourneboulée ! Avait-il une corne ? En avait-il deux ? Mais non, monsieur, je vous dit que les rhinocéros à deux cornes sont les rhinocéros asiatiques !
Bérenger et Jean finissent par se disputer à ce sujet, alors qu'ils sont pourtant meilleurs amis. Le lendemain, au bureau d'administration où travaille Bérenger s'exposent différentes théories à propos de ce fait divers.
Tout à coup, la première transformation s'opère ... Un homme, s'est transformé en rhinocéros ... délibérément !
Mais ... jusqu'où s'arrêtera le phénomène ? Est-ce que quelqu'un maîtrise ces bouleversements ? Qui prendra parti des rhinocéros, et qui restera les pieds sur terre ? ...
B- La métaphore
J'ai bien aimé cette pièce de théâtre, qui nous montre la montée en puissance du règne du rhinocéros dans ce village, et comment les gens sont finalement attirés par cet effet de masse qu'est le régime dictatorial lambda.
Eh oui, en fait, sous leurs airs mignons de gentilles grosses bébêtes, les rhinocéros représentent le régime totalitaire ! Vous y aviez pas pensé, hein ?
 Les retournements de situation et les divergences d'opinions sont très bien amenés, et sont en plus pratiquement tous accompagnés d'une transformation en rhinocéros (sur scène ou non, ça dépend).
Les personnes les plus récidivistes, telles que Jean, pour qui tout doit être bien rangé, bien ordonné, ou encore Botard, l'un des collègues de Bérenger qui ne croyait pas un mot de cette apparition de rhinocéros dans le village, finissent tout de même par succomber à l'appel de la corne (ou de deux cornes, comme vous préférez). Comme quoi, faut pas se fier aux apparences.
Ce que j'ai trouvé également intéressant, c'est que toutes les personnes qui veulent se transformer en rhinocéros pensent toutes que ces pachydermes "s'amusent" plus qu'elles, qu'ils chantent/barrissent, et que la vie doit être forcément meilleure en tant que rhinocéros. C'est un argument majeur de ce régime totalitaire, où la vie rhinocérocienne doit être forcément meilleure que la vie de l'épicière du coin. Et elles pensent toutes ça. C'est fascinant. Non ?
C- Bérenger, seul contre tous
(le titre de la partie fait un peu blockbuster, je l'avoue)
Dès l'acte II, j'ai trouvé le personnage de Bérenger beaucoup plus intelligent qu'on nous le présentait à l'acte premier. Il fait preuve de lucidité, de sang froid, et c'est quelque chose qui m'a plu, par opposition aux "moutons qui rejoignent tous le troupeau " (mais qui serait le berger ? A creuser, à creuser ...) .
Bérenger est également un personnage intéressant car on le suit jusqu'à la fin de la pièce(alors oui, vous me direz, mais cocotte, c'est le personnage principal ! Et je vous répondrai oui, mais flûte, c'est ma chronique), et on peut observer ses différentes phases de prises de position, car le petit bonhomme est tiraillé de tous les côtés ! Entre son meilleur ami qui ne fait que le réprimander (d'où la dispute de l'acte I), l'alcool (le cognac, pour être précis), sa collègue/copine Daisy, l'appel de la corne (oui, je trouve que ça fait stylé :P ), il ne sait plus où donner de la tête le pauvre !
 Il finit par se retrouver seul, tous ses appuis et tous ses repères se font la malle. Oui, tous. Son monologue de fin de pièce est très bien écrit, on sent vraiment qu'il est au bout du rouleau, mais qu'il lui reste sa volonté qui l'anime et le maintient debout !
D- Les indications scéniques
Au niveau des didascalies, des indications de jeu, de décor, et de tout ce que Ionesco a rajouté en italique pour jouer la scène, je trouve qu'il ... a mis le paquet ! Vraiment tout est annoté, toutes les réactions, les mouvements, les objets de chaque décor... Et pour certaines, c'est juste impossible à respecter (de ce que j'en pense) ... Je vous montre:
Au même instant, un bruit se fait entendre. On voit les marches de l'escalier qui s'effondrent sous un poids sans doute formidable. (Acte II, tableau I)
Alors oui. Mais ... NON. Déjà, insérer un escalier où l'on puisse voir une scène à deux étages, ça me parait juste impossible, mais que l'escalier craque ...
Bérenger s'interrompt, car Jean fait une apparition effrayante. En effet, Jean est devenu tout à fait vert. La bosse de son front est presque devenue une corne de rhinocéros. (Acte II, tableau II)
... Tuto YouTube: Comment faire pousser une corne de rhinocéros, facile rapide et pas cher !
E- Le petit mot de la fin
En conclusion, le sujet de cette pièce était super, très intéressant, très bien amené, et les dialogues sont tout à fait compréhensibles et d'actualité, ce qui reste un petit plus.

La particularité de la pièce, c'est qu'elle n'est pas vraiment découpée en scènes, mais juste en actes, et parfois en tableaux (des sortes de grosses scènes, mais pas vraiment). Du coup, je voulais vous mettre la référence de mes passages préférés, mais c'est un peu compliqué !

Dans l'acte I, il se trouve que l'on suit deux conversations en même temps à la terrasse du café après le passage du rhinocéros, celle de Jean et Bérenger, et celle d'un vieux monsieur et d'un logisticien. Là où Ionesco est vraiment fort, c'est qu'il est arrivé à croiser les deux conversations pour qu'on ait la même réplique au même moment, deux fois ! Chapeau l'artiste. Un des meilleurs passages, pour moi

Dans le dernier acte, le monologue final de Bérenger est juste magnifique. Un must.
Ma prochaine étape, c'est d'aller le voir jouer, pour voir comment le metteur en scène s'est dépatouillé avec les indications scéniques, pour la scène à double conversations magique, et pour le monologue à couper le souffle.
Alors ? Convaincu(e)s ?
Dîtes moi ce que vous en avez pensé !


dimanche 26 juin 2016

Coup de ♥ - L'écume des jours

 Coup de ♥ - L’écume des jours
 © Magdeleine Bonnamour
L'écume des jours
Boris Vian
Le livre de poche, n° 14087
Quatrième de couverture: "Un titre léger et lumineux qui annonce une histoire d’amour drôle ou grinçante, tendre ou grave, fascinante et inoubliable, composée par un écrivain de vingt-six ans. C’est un conte de l’époque du jazz et de la science-fiction, à la fois comique et poignant, heureux et tragique, féerique et déchirant. Dans cette œuvre d’une modernité insolente, livre culte depuis plus de cinquante ans, Duke Ellington croise le dessin animé, Sartre devient une marionnette burlesque, la mort prend la forme d’un nénuphar, le cauchemar va jusqu’au bout du désespoir.
Mais seules deux choses demeurent éternelles et triomphantes : le bonheur ineffable de l’amour absolu et la musique des Noirs américains… "
Bonjour bonjour !
Je vais aujourd’hui vous parler d’un livre qui est automatiquement venu se placer dans le  cercle de mes coups de cœurs …
Et oui, mesdames et messieurs, il s’agit de l’écume des jours, de Boris Vian. Ce livre a été écrit en 1946, alors que l’auteur n’avait que 26 ans. Chapeau. Chapeau, car sa plume est si légère, si douce, si décalée que jamais je n'aurai cru qu'un homme de 26 ans ait pu écrire une merveille pareille.
Nous suivons ici l'histoire de Colin, un brave gaillard de 21 ans. Il ne travaille pas, car il est assez riche pour se le permettre. Colin a un meilleur ami, Chick. Chick est un collectionneur et fan incontesté du renommé "Jean-Sol Partre" (par référence à Jean-Paul Sartre), il rencontre même l'amour de sa vie, Alise, lors d'une de ses conférences.
Colin, se sentant soudain très seul, se met en tête de trouver son amoureuse. Il rencontre alors Chloé lors d'une fête:
"Chloé avait les lèvres rouges, les cheveux bruns, l'air heureux et sa robe n'y était pour rien."
On va alors suivre le cours de la vie du couple et de son entourage. Après leur voyage de noces, on comprend que Chloé a pris froid, et est tombée gravement malade, elle a la nénuphite. Un nénuphar d'un mètre vingt lui est poussé dans le poumon droit. On suit Colin, qui, bien déterminé à ne pas laisse tomber sa femme, se bat corps et âme contre sa maladie.

          " Il [...] mit, en passant, quelques gouttes de soleil dans son briquet"

Ce livre est une merveille. Boris Vian organise ses phrases et le récit d'une manière incroyablement suprenante et décalée, mais qui ne déroute pas longtemps: on se plonge directement dans son univers surréel attirant.

J'ai adoré le personnage de Colin, que j'ai trouvé simple, attachant.
J'ai adoré les phrases louffoques et les jeux de mots que l'on retrouve dispersés dans le roman.
J'ai souri devant les mots que Boris Vian pris la liberté de déformer pour arriver aux sens qu'il voulait (cf: zonzonner, biglemoi, antiquitaire).

Personne ne se doit de passer à côté de ce bijou !  Pour moi, c'est un incontournable, que je vous recommande sans tarder.

Autres citations:

         "Non, dit Nicolas. Je voudrais me retirer dans un coing. A cause de l'odeur, et puis parce que j'y serais tranquille."
        
         "Il n'ajouta pas qu'à l'intérieur du thorax, ça lui faisait comme une musique militaire allemande où on entend que la grosse caisse."
NB: En 2013, Michel Gondry a réalisé une adaptation de ce roman, avec notamment Romain Duris, Audrey Tautou, Gad Elmaleh et Omar Sy. Je vous promets de le voir très vite, puisque j'ai maintenant lu le livre.